Figure emblématique d'une génération de grands serviteurs de l'industrie française, Jean-Claude Albrecht incarne la synthèse rare entre l'expertise technique de pointe et la direction générale opérationnelle. Ingénieur diplômé de l’ENSEEIHT (promotion ET 1966), son parcours est celui d’un homme de convictions, privilégiant la rigueur industrielle et l'éthique de gestion aux compromis politiques.
Les années 1960 et 1970 constituent pour lui une période formatrice décisive au sein de deux écoles de rigueur. D'abord chez IBM France où il acquiert une discipline commerciale redoutable, une culture du résultat chiffré et une vision internationale des affaires. Ensuite, il rejoint le groupe Schneider (futur Schneider Electric). Ce passage marque son ancrage dans la réalité physique de l'industrie lourde et de l'automatisation, lui offrant une légitimité incontestable auprès des grands donneurs d'ordres étatiques et industriels.
Fort de cette double expérience, Jean-Claude Albrecht relève dans les années 1970-1980 l'un des défis les plus ardus de l'époque : la direction de H. Ernault-Somua (HES) où il défend une certaine idée de l'indépendance technologique française. Il démontre sa capacité à piloter des sites industriels d'envergure (plusieurs milliers de salariés) et à mener un dialogue social complexe dans un contexte économique tendu. Cette période révèle un dirigeant résilient, capable d'allier vision stratégique et gestion de crise au quotidien.
En 1984 il prend les rênes de la filiale française du britannique ICL (International Computers Limited). En seulement deux ans, il opère un redressement spectaculaire par des mesures de rationalisation. Ce succès lui ouvre les portes de la présidence d'ICL Europe, prouvant qu'un manager français peut imposer sa méthode au sein d'une multinationale anglo-saxonne. C'est fort de cette réputation qu'il est appelé au chevet du Groupe Bull en mars 1990. Fidèle à sa méthode, il engage des réformes drastiques pour stabiliser les opérations. Cependant, l'intégrité de Jean-Claude Albrecht se heurte aux divergences stratégiques. En désaccord avec le président Francis Lorentz, il choisit de démissionner en avril 1992, refusant de cautionner une vision qu'il ne partage pas.
Dans le contexte post chute du Mur de Berlin qui impose alors une réduction drastique des budgets de défense et une transformation douloureuse de l'arsenal d'État en entreprise concurrentielle, il rejoint GIAT Industries (aujourd'hui Nexter/KNDS), le numéro 2 de l'armement terrestre français, constructeur du char Leclerc. Aux côtés du PDG Pierre Chiquet, il tente de mener cette mutation, mais en désaccord profond avec les orientations stratégiques et le style de management de sa présidence, Jean-Claude Albrecht quitte le navire avec fracas en juillet 1993. Avec ce « départ en claquant la porte », largement relayé par la presse économique, il préfère sacrifier sa position plutôt que de valider des choix qu'il estime dangereux pour la pérennité de l'outil industriel de défense.
Le parcours de Jean-Claude Albrecht illustre les tensions d'une époque charnière marquée par la mondialisation et la mutation des champions nationaux. Plus qu'un simple dirigeant, il a su allier une compétence technique indiscutable avec une rigueur méthodologique héritée d'IBM, et surtout, une intransigeance face aux enjeux de pouvoir. Jean-Claude nous a quittés fin novembre 2025.
Commentaires0
Veuillez vous connecter pour lire ou ajouter un commentaire
Articles suggérés